13 mai 2008

 



Les “Paroles ouvrières”

de Frédéric H. Fajardie

relaient la fureur de vivre

 

Par Pierre Pirierros

 









Frédéric H. Fajardie à Calais en janvier 2004

 

METALEUROP : hiver-printemps 2003, l’usine est liquidée. Dans les semaines qui ont suivi, Frédéric H. Fajardie s'est rendu à Noyelles-Godault à la rencontre des anciens fondeurs et a noté leurs récits. Ce furent des “paroles ouvrières” relayées par la fureur de vivre élémentaire. Le contact avec le monde ouvrier fait partie de gestes innés, loin de tout aspect ouvriériste. C’est la force des témoignages. Comment peut-on aborder, par l’écriture, la fermeture d’une usine ? Le pari était difficile à tenir mais Fajardie dépasse les particularités locales pour s’adresser à un public beaucoup plus vaste tout en centrant son travail sur la présence de l’homme au coeur d’un tel conflit. On l’aura compris, il s’agit de Metaleurop. L’industrie métallurgique est sous la tutelle des marchés financiers qui imposent une pression permanente pour toujours plus de compétitivité. La fermeture de Metaleurop à Noyelles-Godault était programmée de longue date, dans le plus grand secret. La cotation, elle, se fait au grand jour. La lutte contre le pot de fer n’est pas éloignée de l’éthique sociale. Celle-ci doit l’emporter. Les indemnités exigées par les anciens fondeurs, aux Prud’hommes de Lens, se situent à hauteur de 30 000 euros, ce qui heurte, bien évidemment, la direction de Metaleurop SA. Chaque salarié, 586 au total, réclame, à juste titre, le versement d’une indemnité de 30.000 euros et d’une somme de 300 euros pour les frais... L’issue est-elle palpable ? Cela tient du feuilleton social.

Pourquoi et comment ? Ces questions fondamentales surgissent à chaque page comme un polar réécrit par quelqu’un qui lui a redonné sens et dénonciation. L’homme rebelle avait l’oreille du peuple, c’est vers lui qu’il orientait ses livres, un foisonnement de moeurs politiques, de situations interlopes, de critiques acerbes envers un capitalisme dévastateur. L’homme rebelle exprimait la volonté de la fidélité à l’idéal émancipateur qui a motivé l’engagement de générations successives. C’est le combat de tout un peuple. Derrière les résistances de plus en plus vives à une société en lambeaux, les représentations sociales et politiques de tous les participants” à l’oeuvre de Frédéric H. Fajardie sont l’avant-garde et un signe évident d’un combat décisif ! Philosophie, démocratie, vie publique, débats, le legs est immense.

Frédéric H. Fajardie est mort en ce 1er mai 2008 à l’âge de 61 ans. Sa venue au Salon du livre d’Arras avait été annoncée, Didier Andreau savait qu’il ne viendrait pas ; rongé par la maladie, il laisse orphelins tous ses lecteurs, ses amis, ses camarades. Sa révolte ne date pas d’hier, lui, qui donne des chroniques régulières dans des journaux engagés, comme l’Humanité à partir de 1996. Le Nord/Pas-de-Calais l’attirait et nombre de ses interlocuteurs lui en étaient reconnaissants, que ce soit dans les ateliers d’écriture ou les “s de la colère” à Rouvroy. Ses paroles et ses écrits demeurent. Ceux de Metaleurop en gardent le plus beau des souvenirs.

Pierre Pirierros

 

 

Frédéric H. Fajardie : “Combien pour vos sanglots ?” (Table-ronde sur la santé à Rouvroy) "Je ne peux pas opérer votre enfant avant trois mois…OU alors, dans le cadre de mon activité privée, dans trois jours. Mais je suis en dépassement d’honoraires, c’est 350 Euros, maintenant.

 

VOILÀ le genre de phrase courante dans le Pas-de-Calais. Et d’imaginer tout ce qu’elle ne dit pas, derrière les mots : le cabinet austère du médecin, ses doigts impatients qui battent la mesure sur le bureau, le couple paniqué qui échange un regard déchirant pour ne pas voir leur gosse malade dont il est question ici, un gosse dont la santé, la vie peut-être, sont en jeu. Pauvre gamin ! Déjà, il n’a pas eu la bonne idée de naître chez des nantis, voilà qu’il persiste en grandissant dans une région que le capitalisme ne porte pas dans son coeur en raison de la combativité de ses travailleurs. Ceux qui en doutent n’ont qu’à calquer la carte des difficultés de santé sur celle du chômage, la superposition est parfaite.

C’est comme un barrage en rupture, l’édifice craque de partout. Ici, les AGF annoncent que pour un contrat de 12.000 euros par…an, on sera soigné par les meilleurs médecins de France, de renommée internationale. Là, on apprend que les cotisations du patronat sont en baisse, et que l’Etat, qui dérembourse les médicaments, ne reverse pas celles qu’il a perçues. Tel hebdo lie chômage et déficit de la Sécurité sociale, feignant d’ignorer que ces chômeurs, qui ne demandent pas à l’être, c’est autant de millions de cotisations en moins. Enfin, à consulter les observatoires régionaux de la Santé, dont les chiffres sont approuvés par le ministère, on remarque que la région Nord/Pas-de-Calais occupe la position la plus extrême par le nombre de cancers et la faiblesse numérique des effectifs en personnel médical. Le gouvernement, émanation de l’ultra libéralisme, nous prépare l’enfer, pour nous, et ceux que nous aimons. Il est plus que temps de nous mobiliser : associations, partis et syndicats. Ou nous n’aurons plus qu’a pleurer. " Ils " seraient capables, alors, de créer un impôt sur les larmes…”

 

 

J'ai fait ma carrière à Penarroya” (Extraits de “Metaleurop, Paroles ouvrières”, Mille et une nuits éditeurs)

 

 

 

«  ET deux de mes enfants travaillaient à Pennarroya. Il y a neuf ans, celui qui travaillait au service informatique a refusé d'être vendu comme de la viande quand ils ont vendu le service. C'est-à-dire qu'avant, on reclassait dans l'usine mais après... Il y en a un troisième qui est venu aussi à Penarroya. Ils m'ont pas prévenu qu'ils venaient travailler aussi. Moi j'ai travaillé à l'entretien, puis à la sécurité. Fallait que j'intervienne sur les coups durs à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Le pire, c'était aux acides. Un jour, j'ai été éclaboussé, le pantalon est parti en fumée, vraiment, plus rien sur moi. Et puis quand je cherchais la fuite en haut des cuves, il y avait les nuages de gaz toxique. J'ai 66% d'incapacité. C'est une maladie professionnelle, bien sûr, mais pas officiellement, hélas. J'aimais bien Penarroya, quand même. C'est curieux, mais on peut avoir du respect pour une boîte. Manu, 74 ans, marié, quatre enfants, service de sécurité. Là-bas, le siège avec en chiffres de céramique blanche sur fond bleu la date de la fondation : 1894. Quelques arbres poussés on ne sait comment, un peu ridicules entre le gigantisme des châteaux d'eau, de la tour à plomb de chasses et des cheminées des fours. La cantine, long bâtiment plat, siège des assemblées générales, des cafés à vingt centimes et des sandwichs à prix coûtant servis par des femmes toujours souriantes, quelle que soit l'issue des combats. Des femmes qui avaient accroché une banderole derrière le comptoir: "Courage, les mecs, les femmes sont avec vous !" La seule banderole du site où l'on pouvait voir, peinte en bleu, une petite fleur. L'espace est hachuré de voies ferrées qui ne mènent plus nulle part, et les wagons abandonnés comme pour une alerte aérienne semblent des proies faciles pour la rouille du temps qui passe lors de lendemains incertains. Les prédateurs, tous ces requins de la finance qui précèdent les vautours dépeçage avec la complicité des chacals des médias, ont gagné. Le capitalisme "mondialisé" triomphe, et la barbarie avec lui, tandis que nos élites, lourdement absentes, nous parlent toujours d'ailleurs, loin, très loin...

 

Se revoir...

 

Six mois que je viens ici. Mais le livre est achevé. On s'est promis des trucs, de se revoir, tout cela. Bien sûr, on le fera, on organisera une grande fête pour la sortie de ce livre, certains se moqueront de mon eau minérale, je répondrai comme d'habitude que je n'aime pas la bière. On déconnera en mangeant des frites. Mario ou un autre me redira peut-être sans malice ce truc que j'avais trouvé involontairement irrésistible de drôlerie : "Finalement, c'est plutôt humain, un écrivain." A mon avis, les gars, faut pas généraliser: rien n'est moins sûr!Il y aura des chansons, certainement, et les femmes seront belles, comme toujours. Oui, toujours plus belles puisque ce sont des lutteuses. Pourtant, déjà, ce n'est plus tout à fait comme avant. C'est très moche, de vieillir, on y croit moins. On a l'expérience des colos, des vacances en Bretagne, de la dernière année de fac avec nos licences en poche, nos sourires à la sortie du petit couscous près de l'université, les promesses de ne pas se perdre de vue. Comme à l'armée, avant de passer pour la dernière fois la porte de la sinistre caserne et ce mot du deuxième classe Benhamar imitant un sousoff, bref, "une crevure d'engagé", comme nous les appelions entre nous : "On vous a à l'oeil, soldat Fajardie !" Et puis voilà, on se fait bouffer par la vie, ou la non-vie, affaire de point de vue.

 

Des nuits très courtes

 

Je vous dis ma nostalgie avec une certaine gêne, je n'aime pas trop les épanchements. Mais je me crois obligé à la plus grande franchise, parce que ce spleen doit sans doute faire partie de tout cela et que me taire serait tricher, vous empêcher, peut-être de tout saisir, les nuances, les non-dits, la fragilité des choses humaines. Cet état d'esprit dans lequel je fus précipité par les gens et les choses, je pense indispensable de vous en livrer le plus d'éléments qu'il m'est possible. J'ai vraiment fait de mon mieux. J'ai vécu des nuits fort courtes, mais je sais qu'un autre écrivain, par ses questions, sa sensibilité, son tempérament, aurait fait un tout autre livre. Il est en effet probable que la vie va me séparer des salariés de Metaleurop. Mais si grâce à ce livre leur attitude fait école, si la dignité est restaurée sur tous les lieux de travail, si les acquis des victoires ouvrières des temps passés sont défendus, si la lutte est enfin comprise comme constitutive de tout être conscient, je crois que ceux de Metaleurop seront partout présents, comme si nous ne les avions jamais quittés.”

par Liberté 62 publié dans : Idées
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